A propos du rapport Combrexelle

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Et bien, oui, je l’ai lu avec beaucoup d’attention.

A première vue, c’est un travail intéressant, même si on peut critiquer certaines convictions, certaines approches, certains contributeurs et leurs positions….

D’abord mettons tout de suite de côté les débats inutiles et évitons de rejoindre les discours des acteurs politiques et des polémistes qui braient sur les médias:

  1. Ce n’est pas en réformant, en faisant évoluer le Code du Travail qu’on va provoquer la reprise de la création d’emploi ; d’accord, c’est utile de desserrer le carcan juridique et réglementaire mais ce n’est qu’un moyen (faible) parmi d’autres. On le sait bien: le processus se déroule de la façon suivante, des entrepreneurs créent / développent leurs activités et à ce moment-là ont besoin de recourir à des compétences individuelles…C’est ainsi qu’apparaissent les «emplois» et pas autrement. Ce sont donc les entrepreneurs qui sont à l’origine des emplois…
  2. Ne focalisons pas sur la question des «35 heures»: la principale réalité qui préoccupe les uns et les autres (entreprises et salariés), c’est la problématique des heures supplémentaires et leur surcoût.

Ensuite, je tiens à préciser que les «évaluations et commentaires» dans le tableau ci-dessous sont les réflexions de l’entrepreneur et consultant senior (conseil de direction, coaching dirigeant…), qui dans ces 48 années d’activités en a vu des «vertes et des pas mures», dans le paysage socio-économique gaulois.

J’ai été guidé par les interrogations suivantes:

  • Utilité de cet Énième rapport?
  • Faisabilité des préconisations, des pistes de solutions?
  • Prise en compte du temps et du caractère d’urgence du contexte actuel?

J’ai donc repris une par une les propositions (j’espère que beaucoup le feront…) et indiqué mes commentaires, …comme dit plus haut, forcément subjectifs et personnels, compte tenu de mon âge et de mon identité professionnelle…

 

N° de proposition / Extrait récapitulatif Utilité faisabilité temporalité commentaire
1 Élaborer une pédagogie de la négociation collective démontrant le caractère rationnel et nécessaire de celle-ci dans un contexte concurrentiel et de crise économique. La pédagogie, c’est toujours utile Médiocre, car les parties en présence dans la négociation sont loin d’avoir «lavé leurs représentations» M.T Encore faut-il avoir la «conviction» que la négociation est un moyen fort et valable…
2 Mise en valeur des bonnes pratiques des entreprises et des syndicats sur les moyens d’établir une confiance réciproque, notamment dans la présentation, le partage et l’utilisation d’informations stratégiques. D’accord. Oui, c’est faisable Déjà en cours: bench mark; publications professionnelles… …sous réserve des manipulations de communications externes des uns et des autres et de partis pris de logique « marketing électoral »
3 Organisation des DRH et positionnement des responsables des relations sociales au sein de l’entreprise en fonction des exigences de la négociation collective. Prise en compte de l’aptitude à la négociation comme un critère déterminant lors de l’évaluation de ces responsables. OK Faisable, notamment dans les grandes structures Quelques exemples dans les Grandes entreprises … C’est un peu un vœu pieux pour les PME-PMI et ne parlons pas des TPE…
4 Formations de qualité au dialogue social dans les écoles de commerce, les écoles d’ingénieurs, l’Université et les grandes écoles de la fonction publique. OK Des choses se font M.T Il ne faut pas que ces formations soient l’apanage de structures annexes aux organisations des partenaires sociaux tels qu’ils existent actuellement
5 Actions de sensibilisation sur la place de la négociation collective auprès des conseils en stratégie, des consultants, des avocats et des experts-comptables, avec notamment une réunion régulière sous l’égide des ministres en charge du travail et de l’économie de l’ensemble des acteurs qui influent directement et indirectement sur la stratégie des entreprises et sur le social. OK Sensibilisons, sensibilisons, il en restera bien quelque chose… M.T …encore faut-il que les récipiendaires soient «sensibilisables» et ouverts au «primat» de la négociation collective
6 Pratique exemplaire de l’État dans les critères de choix des dirigeants de la sphère publique, dans leur capacité et leur goût à mener un dialogue social de qualité Pourquoi pas… ? ? En tant qu’entrepreneur, je me sens peu concerné.
7 Reconnaissance renforcée dans le code du travail de la place des accords de méthode préalables à une négociation avec des règles souples concernant la négociation et le contentieux. Oui Des choses sont déjà faites C.T Problème cependant de «temporalité» dans certains exemples…
8 Mise en place de nouvelles pratiques de négociations insérant celles-ci dans un tempo plus économe en temps dans le cadre des accords de méthode. Oui C’est faisable C.T Voir ci-dessus
9 Limitation législative dans le temps de la durée des accords d’entreprise et professionnels de branche. Utilité évidente faisable C.T Il faut pouvoir bouger dans un monde qui bouge…Mettre en place quelque chose de «souple»
10 Réforme des règles de révision des accords collectifs pour permettre des adaptations plus rapides. Idem ci-dessus Idem ci-dessus Idem ci-dessus Idem ci-dessus
11 Mise en place de deux groupes de travail sur :− les conditions dans lesquelles il pourrait être donné davantage de place à la négociation collective pour anticiper le statut des salariés transférés et mieux définir le contenu des « avantages individuels acquis » ;− l’application du principe d’égalité aux accords collectifs pour permettre leur évolution dans le temps. Utilité des objets Médiocre …des groupes de travail de plus…? M.T Forte résistances des représentants du côté salarial.
12 Mise en place de formations communes syndicats/entreprises sur la base d’un cahier des charges établi par l’État, éventuellement prises en charge sur le fonds de financement du paritarisme pour les employeurs. Ces formations se feraient sans préjudice des formations syndicales particulières. Pourquoi pas? Médiocre ? – Pourquoi un CDC établi par l’état?- Les différentes parties traîneront les pieds pour se retrouver ensemble en situation de formation
13 Confier à une mission une réflexion sur la place et le fonctionnement des instituts régionaux et supérieurs du travail.
14 Exigence d’un document établi par les signataires expliquant aux tiers l’économie générale de l’accord et de ses principales stipulations et d’une clause définissant les modalités d’interprétation de l’accord par les signataires. Oui, c’est utile faisable C.T Efforts à faire en termes de simplicité, de pédagogie et de rigueur dans l’écriture.
15 Exigence d’une stipulation contenue dans l’accord collectif, le cas échéant par référence à l’accord de méthode, définissant les conditions dans lesquelles son contenu sera porté à la connaissance des salariés concernés. Oui, c’est utile et indispensable pour ceux à qui l’accord va s’appliquer faisable C.T Efforts à faire en termes de simplicité, de pédagogie et de rigueur dans l’écriture.
16 Renforcer la recherche, sous l’égide de la Dares et de France Stratégie, sur l’étude économique de la négociation collective et du dialogue social et mettre en place des outils permettant à la Dares et à la DGT d’assurer un meilleur suivi qualitatif de la négociation notamment au niveau de l’entreprise. Utilité? faisable M.T En tant qu’entrepreneur, je me sens peu concerné et c’est surtout «administratif»
17 Concevoir une plateforme nationale, notamment numérique, permettant la mise en commun et la diffusion des données et connaissances sur la négociation collective. médiocre faisable M.T Que serait une telle plateforme?… Il y a déjà beaucoup de structures, d’observatoires divers…
18 Maintien de l’extension des accords de branche par le ministère du travail. oui Cela se fait Sans commentaire
19 Faculté reconnue aux services déconcentrés de l’État de contester les clauses des accords collectifs d’entreprise (à l’exception des accords portant sur les PSE) devant le Tribunal de grande instance. ? faisable C. T Quel intérêt véritable ?
20 Encadrement de l’utilisation par l’État des dispositifs de «négociation administrée» à quelques domaines caractérisés par d’impératives exigences d’intérêt général et par l’insuffisance de la négociation collective de droit commun. ? ? ? Le problème: qu’est ce que l’intérêt général et qu’en savent les parties en présence? Il n’y a pas de consensus sur ce «concept» qui n’a d’utilité que comme fondement du droit public.
21 Encadrement dans le temps des conditions de recours judiciaire contre les accords collectifs avec application de règles inspirées du contentieux des actes règlementaires. oui faisable C.T Intérêt de pouvoir limiter dans le temps les possibilités de recours
22 Ouverture des formations à la négociation collective aux magistrats judiciaires et administratifs. Pourquoi pas faisable C.T En tant qu’entrepreneur, je ne me sens pas concerné et c’est surtout destiné aux acteurs judiciaires et administratifs qui souvent méconnaissent la réalité des situations socio-économiques des entreprises
23 Mise en valeur des bonnes pratiques concernant le dialogue social informel et des accords d’entreprise intégrant des dispositifs participatifs à destination des Institutions représentatives du personnel lors d’événements importants concernant l’entreprise et ses salariés. oui faisable M.T Ce n’est que de la «communication»?
24 Limitation du nombre de réformes législatives du droit du travail en fixant un agenda social annuel et en le respectant. oui faisable C.T On ne peut qu’être pour…
25 Application du principe selon lequel toute disposition nouvelle du code du travail doit être gagée par l’abrogation d’une disposition devenue obsolète du même code. oui Difficile à «croire» L.T., Après une prochaine crise… Peut-on imaginer cela?
26 Projet, à moyen terme c’est-à-dire dans un délai maximal de quatre ans, d’une nouvelle architecture du code du travail faisant le partage entre les dispositions impératives, le renvoi à la négociation collective et les dispositions supplétives en l’absence d’accord. Oui, pourquoi pas difficile L.T Le dernier nouveau CDT n’a fait qu’enfler les textes…
27 Projet, à court terme c’est-à-dire dans le courant de l’année 2016, d’une modification du code du travail concernant les conditions de travail, le temps de travail, l’emploi et les salaires. Pourquoi pas Faisabilité moyenne M.T et non C.T Problèmes des influences du marketing électoral et des échéanciers
28 Maintien du principe de la concertation préalable prévu par l’article L.1 du code du travail en l’assortissant de la faculté pour les partenaires sociaux de recourir soit à la forme de l’accord national interprofessionnel soit à la forme de la « position commune » qui se borne à la définition des principes essentiels. Pourquoi pas faisable M.T Ce n’est que le maintien d’un principe…
29 Inscription dans le Préambule de la Constitution des grands principes de la négociation collective. Oui… faisable C.T Si cela peut faire plaisir…
30 Extension de la négociation collective dans les champs prioritaires que sont les conditions de travail, le temps de travail, l’emploi et les salaires (ACTES, Accords sur les conditions et temps de travail, l’emploi et les salaires). OK faisable C.T Est-ce que tous les partenaires sont d’accord :- sur ces champs- sur leur caractère prioritaire ?
31 Ouverture à la négociation collective des nouveaux champs des relations du travail : responsabilité sociale des entreprises (RSE) et, avec un mandat de la loi, économie digitale. Pourquoi pas faisable M.T C’est sympathique et «à la mode»
32 Définition des quatre missions de la branche, dans un premier temps, dans les champs prioritaires des accords ACTES. Pourquoi pas faisable M.T …mais les «branches» sauront-elles rester à proximité des entreprises (TPE) et connaîtront-elles la diversité des situations?
33 Définition, dans un premier temps pour un délai de trois ans, d’un mécanisme de fusion des branches qui représentent moins de 5 000 salariés avec une convention collective d’accueil. Oui difficile M.T Bien sur, cela parait logique: il y a plus de 1000 conventions «collectives», mais ce ne sera pas affaire facile.
34 Faculté, par accord majoritaire, de regrouper en deux catégories de thèmes la négociation des accords d’entreprise et de leur fixer une périodicité quadriennale avec « clause de revoyure » annuelle. Oui Cela parait faisable C.T Apparemment logique de simplification?
35 Sous réserve de l’ordre public défini par le code du travail et l’accord de branche, priorité donnée à l’accord collectif d’entreprise dans les champs prioritaires des accords ACTES. Un bilan de la mesure, pour apprécier l’opportunité de son maintien, serait dressé tous les quatre ans à l’occasion de chaque nouveau cycle de la représentativité patronale et syndicale. Oui faisable C.T/M.T Mais il est à craindre que les logiques d’acteurs et le marketing politique fassent traîner les choses
36 assimilation législative de l’accord de groupe aux accords d’entreprise. Oui faisable C.T Et cela fera plaisir aux K.A et aux entreprises du CAC40
37 Prévoir que les accords de groupe organisent l’articulation accords de groupe/entreprises/établissements. Oui C’est déjà souvent fait C.T Les grandes Entreprises ont déjà fait cette articulation
38 Édiction d’accords type d’entreprise par les branches dans leur rôle de prestation de services à l’égard des TPE. ? faisable M.T …mais je crains qu’on s’éloigne de la notion de «proximité» et de la prise en compte de la diversité des situations
39 Reconnaissance législative mais avec un encadrement très souple des « dispositifs territoriaux négociés ». ? faisable C.T Cela fera plaisir à certains mais n’est-ce pas l’annonce de nouvelles structures – usines à gaz sans efficacité économique?ET faut-il en faire «loi»?
40 Lancement d’une expérimentation relative aux accords collectifs concernant les filières et les sous-traitants dans le cadre de la notion de l’ « entreprise étendue ». ? Faisabilité ? M.T Qui cela intéresse? Les grands ensembliers? Est-ce une demande des sous-traitants?
41 Mise en valeur des bonnes pratiques des accords transnationaux et meilleure articulation entre accords transnationaux et accords nationaux. Oui… faisable M.T Cela sera l’occasion de grands séminaires et symposiums…
42 Institution d’une règle faisant prévaloir, dans l’intérêt général et l’intérêt collectif des salariés pour l’emploi, les accords collectifs préservant l’emploi sur les contrats de travail. Oui Des choses sont déjà faites C.T Là aussi, la conviction du primat de la négociation collective l’emporte sur le contrat …même si on le comprend dans certaines situations réelles.
43 Généralisation du principe de l’accord majoritaire d’entreprise à compter de 2017. Oui Faisable C.T Pourquoi pas dès 2016?
44 Mise en oeuvre d’une large concertation avec les partenaires sociaux sur la base des propositions du rapport Oui Faisable C.T Oui, et courant 2016, on mandatera un autre groupe de travail pour- faire la synthèse de cette concertation- analyser les caractères de faisabilité des préconisations…etc.

Quelques éléments de conclusion:

On notera simplement que l’ensemble du rapport se fonde sur un primat: celui de la négociation collective qui est (serait) la «panacée» et qui ne peut qu’être bonne pour la compétitivité des entreprises.

Dans leurs travaux, Jean -Denis Combrexelle et France Stratégie et les différents contributeurs ont répondu à la commande du 1er ministre actuel, en lui donnant les quelques aliments nécessaires à:

  • «dynamiser» la Négociation collective
  • donner de «nouveaux champs» à la négociation.

…et ainsi seront nourris les besoins du marketing politique et moult débats médiatisés.

Pour ma part, dans ce rapport, je ne trouve pas mon compte;

  • Les logiques d’entreprises (hors mises peut-être celles des grandes) et les réalités économiques sont plutôt absentes et «mal servies».
  • On est loin d’une «inversion de la hiérarchie des normes » attendue par beaucoup.
  • La mise en exergue des accords d’entreprise au détriment des autres niveaux me parait excessive et j’ai le sentiment que le contrat reste relégué à un rôle mineur.

Bref, avec ma grille de lecture indiquée en introduction – utilité, faisabilité, temporalité -, je me répète: je n’y trouve pas mon compte, ni les indices rendant crédibles ces «propositions».

 

Contact: Jean-Louis Brunie / B2L Consulting